Dis moi Emie, Capobianco, c’est qui ?
Derrière la marque de bijoux Capobianco se cache Juliette, une créatrice qui s’inscrit dans une vraie démarche d’upcycling. Toutes les créations sont fabriquées dans son atelier à Marseille. Juliette a fait le choix de travailler à partir d’éléments de récupération, l’objectif est de les revaloriser et de leurs donner une seconde vie. On vous laisse découvrir et entrer dans son univers.
E : Comment t’es venue cet attrait pour les bijoux ?
C : J’avoue que mon attrait pour les bijoux est un pur hasard. J’étais mauvaise à l’école, en 3 ème (à 15 ans) on m’a donc conseillé d’aller voir ce qui se passait du côté des filières techniques, puisqu’à l’époque (il me semble que cela s’améliore petit à petit) on considérait que les métiers manuels étaient pour les jeunes en échec scolaire et non pas une vocation que tu choisis. J’ai donc choisi un cap bijouterie car il y avait du dessin, du travail manuel, celui du métal qui plus est, les deux éléments dans lesquels j’ai baigné depuis ma naissance de part les métiers artistiques de mes parents (peintre déco et soudeur, ils ont conçu et fabriqué des décors de spectacle de rue toute leur vie). La chance a fait que cela m’a plu, je suis donc restée dans cette filière et y évolue depuis maintenant presque 20 ans.
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E : Le nom « Capobianco » vient de ton arrière grand mère, en quoi t’inspire t’elle dans tes créations ?
C : Capobianco c’est effectivement le nom de jeune fille de mon arrière-grand-mère Luigia. Elle a porté quasiment toute sa vie le nom de son défunt mari, le papa de ma grand-mère qui est mort à 36 ans en Sicile, avant de se remarier en France. C’est seulement après son divorce qu’elle a repris le nom de Capobianco. C’est la raison pour laquelle j’ai découvert ce nom il y a seulement 2 ans (au moment où mon projet prenait forme dans ma tête) quand j’ai trouvé le livret de famille de ma grand-mère en rangeant son appartement un peu avant qu’elle nous quitte à son tour. Luigia a eu une vie très dure et son nom avec, c’est pourquoi cela c’est imposé à moi comme une évidence, redonner à ce nom une nouvelle vie, plus douce, à l’instar des bijoux que je transforme pour leurs donner un nouveau souffle.
En utilisant ce nom, je rends hommage aux sacrifices et au courage dont ont fait preuve ma grand-mère et sa maman tout au long de leurs vies dans le but d’offrir à leurs descendances un avenir plus doux. C’est grâce à elles que je fais de ma vie ce que j’aime.
E : D’où viennent tes matériaux et d’où t’es venu cette idée de recycler ces métaux précieux ?
C : Mon fournisseur principal est une bijouterie à Marseille (où j’ai fait un de mes stages au lycée) qui est spécialisée dans l’achat et revente de bijoux anciens. Je leur rachète tout ceux qu’ils destinent à la fonte, qui n’est pas réparable, démodé, ou pas rentable pour eux à réparer et revendre. J’achète aussi sur Leboncoin, dans des vide-greniers, aux puces, ou à qui veut bien me revendre ses vieilleries.
L’idée du recyclage est un cheminement de corps et d’esprit ! Cela faisait un an que j’avais quitté le poste que j’occupais depuis 11 ans dans l’industrie du luxe (pour des marques de bijoux et pour Rolex) je ne me retrouvais plus là dedans et mon corps avait parlé pour moi car j’ai eu des problèmes aux mains (début d’arthrose et douleurs articulaires violentes). J’ai donc arrêté ce job et j’ai voulu changer complètement de secteur car je ne me voyais pas participer au désastre humain et écologique que représente l’extraction des métaux précieux.
C’est donc grâce au confinement que j’ai trouvé une manière de continuer à exercer le seul métier que je connaisse, la bijouterie, mais d’une manière alternative et responsable. J’avais mon petit atelier chez moi, j’ai donc vidé toutes mes boîtes et tiroirs et j’ai commencé à fondre, transformer, monter. Grâce aux bons retours je me suis lancé pour de bon et 90% de mes douleurs se sont envolées (c’était beaucoup dans la tête).
C’est justement « la noblesse » de l’or et l’argent qui les rend recyclables, je ne pourrais pas travailler de la même manière avec d’autres métaux.
D’ailleurs j’aime l’idée que mes bijoux seront peut-être refondus et transformés dans 20 ou 50 ans !
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E : Comment design tu tes bijoux ? Parle nous de ton processus de création plus en détail.
C : Mes créations sont une surprise même pour moi ! Je ne sais jamais à l’avance ce que je vais chiner. À part évidemment les mailles plutôt emblématiques du sud, comme les gourmettes (ma base que je trouve en grande quantité) ou les grains de café que je trouve régulièrement, mais souvent différentes.
Du coup le processus c’est : je chine un bon stock, je pose tout devant moi et souvent les créations s’imposent à moi. Parfois, elles sont le fruit d’une accumulation de trouvailles autour du même thème, comme pour ma dernière collection avec pleins de dauphins de cœurs et de piments.
Je ne dessine rien, c’est la matière et les formes qui m’inspirent.
Je garde tout ce qui me plaît et qui peut être utilisé tel quel, donc upcyclé. Pour le reste, tout ce je trouve esthétiquement pas intéressant ou tous les bijoux en trop mauvais état pour être réemployé, je les recycle. Je les fonds, j’en fais des petits lingots d’argent, je les passe dans un laminoir puis dans une filière et je fais du fil avec lequel je fabrique des bagues et tous les apprêts (anneaux, systèmes de boucles) nécessaires.
E : Tu travailles surtout le métal et le garde brut, sans pierre ni perle. Pourquoi ce choix ?
C : C’est vrai pour le moment, il n’y a aucune pierre dans mes créations, c’est parce que j’aime le métal avant tout, c’est dans mes gênes je pense, hérité de mon papa qui voue un amour pour le fer dont il a fait son métier. Je baigne dans la ferraille depuis ma naissance. J’aime autant fabriquer un meuble en métal avec lui que fabriquer un bijou. Je crois que les pierres, je les préfère dans la nature ou sous forme d’évier en pierre de cassis ou de sol en marbre ! J’aime la dureté du métal, le fait qu’il se travaille grâce aux flammes et à coups de maillet, ça a un côté défouloir !
Mais j’ai un stock de pièces et de perles que j’ai accumulé au fil des années donc ça risque fort d’évoluer.
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E : Tu as appris seule à les confectionner ?
C : Non, j’ai pas appris seule, comme dit là haut, c’est ma médiocrité intellectuelle qui m’a conduit dans cette direction ! J’ai fait un CAP puis un BMA (brevet des métiers d’art) en bijouterie au lycée technique Léonard de Vinci à Marseille et j’ai commencé à bosser à 19 ans chez Frojo là où j’ai fait mon dernier stage en entreprise. J’avais un poste de gestion de stock et suivi de fabrication/contrôl de qualité pour les marques Ginette-ny puis Charlet Bijoux et un poste de technicienne d’habillement Rolex (c’est la restauration des montres qui entrent en révision). Les 11 ans que j’y ai passé ont été très formateurs puisque j’y ai appris tout ce qu’on ne t’apprend pas en cap (on t’apprend à juste être un artisan au service d’un patron). C’est-à-dire tout ce qu’il y a autour d’un bijou, le marketing, le packaging, les relations clients, fournisseurs….
E : Pour toi, qu’est-ce ce qui te démarque des autres marques de bijoux ?
C : C’est la sincérité que je mets dans mes créations. Déjà, j’y mets mon identité, mes racines, la Sicile. Toute la Méditerranée au travers de Marseille, ma ville, là où je suis née, où j’ai toujours vécu, c’est elle qui a aussi fait de moi la personne que je suis, avec ses valeurs de partage de mélange bouillonnant de cultures et de couleurs, que l’on retrouve dans les bijoux que je trouve ici, comme les mailles gourmettes, les grains de café, ou toute sortes de pendentifs porte bonheurs méditerranéens : le piments ou les symboles religieux en tout genre qui reflètent la multiculture Marseillaise.
Comme tu l’as dit, mes bijoux sont bruts, ils ne se prennent pas pour d’autres, ils peuvent paraître lourds et agressifs, mais c’est sous couvert de bonnes intentions, continuer à se parer de belles choses tout en encourageant l’artisanat responsable.
E : Quel est la pièce qui représente le mieux Capobianco ?
C : Capobianco c’est avant tout le rêve d’un monde meilleur. J’ai réalisé une pièce qui reflète bien cette idée, un bikini en grillage d’argent, naïve utopie d’un monde merveilleux où tous les grillages, chaînes et barbelés ne serviraient plus qu’à parer nos corps et non plus à parquer des êtres humains ou des animaux, ni à barrer des frontières puisqu’il n’y aurait plus de guerre mais seulement la paix et l’amour partout.
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E : Quels sont tes futurs projets ?
C : Capobianco c’est le projet, maintenant il faut le faire grandir et le pérenniser. Je viens d’ouvrir il y a 3 semaines mon atelier avec ma maman dans mon quartier à Marseille, je vais me concentrer dessus, essayer déjà de gagner ma vie avant de passer au step au-dessus. Mon but ultime est basé sur le schéma de Robin des bois, mais sans voler personne évidemment, mais juste sur l’idée de la redistribution des richesses, vendre des bijoux pour financer des projets sociaux et/ou caritatif. Je vis dans la ville de France où se trouve les quartiers les plus pauvres d’Europe, les plus grandes inégalités sociales, avec tout ce que Marseille m’a donné j’espère pouvoir lui rendre dans un futur pas trop lointain.
Merci à Juliette d’avoir répondu à toutes nos questions !
Retrouvez son travail sur Instagram @capobianco.capobianco et sur son site ateliercapobianco.com !