Dis moi EMIE, Delphine Dénéréaz, c’est qui ?
Delphine Dénéréaz est une créatrice de tapisseries française. Ses créations entrent dans une démarche responsable qui lui parait indispensable aujourd’hui. Elle donne de la valeur à des matériaux destinés à la poubelle, mais qui portent en eux nos émotions les plus intimes.
E : Pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu te présenter ?
D : Hello, je suis Delphine Dénéréaz, je vis et travaille à Marseille après avoir fait un master en Design textile à la Cambre Bruxelles. Depuis mon retour dans la région, j’ai axé ma pratique artistique sur la création de tapis et tapisseries tissé en lirette. Je crée un mélange entre une technique artisanale et ancestrale avec une esthétique contemporaine.
E : Comment t’es venue l’idée de transformer les textiles du quotidien en tapisserie ?
D : J’ai toujours été attirée par la transformation, le réemploi en gros mais sans mettre de mot dessus. C’était instinctif quand j’étais plus jeune. C’est pendant mes études en textile que j’ai pu conceptualiser ça, grâce à nos professeurs qui nous ont d’avantage sensibilisé à ce genre de pratiques. J’ai aussi fait pas mal de projets où je détricotais des pull ou des écharpes de supporters de foot et que je retricotais ensuite. Le fil à garde en mémoire la boucle, je rajoutais alors des nouveaux motifs ou matériaux récupérés aussi. Donc quand j’ai décidé de me mettre à fond dans le tissage. C’était évident que ça serait de cette manière-là. En plus, honnêtement, j’avais pas vraiment les moyens d’acheter de la pure laine française pour tisser et acheter de la laine bon marché sur Aliexpress ça n’avait aucun sens pour moi !
E : Pour toi, c’était important que tes tapis soient dans la démarche upcycling ?
D : Oui car en plus de la portée sentimentale et émotionnelle que portent en eux les tissus usés ça me parait primordiale en 2020 d’avoir une conscience éco-responsable quand on est artiste. On est sensé être les sensibles de ce monde et aussi véhiculer un message. Sachant que la terre étouffe déjà sous les millions de productions quotidiennes, (la filière textile étant l’une des plus polluantes) c’est difficile d’y faire abstraction quand on crée. Mais pour ma part, je ne peux pas arrêter de m’exprimer donc le compromis est là, le faire de manière raisonnée.
E : Parle-nous de la manière dont tu réalises tes tapis. Tu utilises la technique du tapis de lirette ? Comment as-tu découvert cette technique ?
D : Des tapis en lirette, j’en ai toujours vu chez dans ma famille, dans les salles de bain ou en descente de lit dans les chambres d’enfants. Ça faisait partie de mon paysage, on va dire. Puis encore une fois c’est à l’école que j’ai découvert réellement ce que c’était, que je m’y suis intéressée de plus près. Pour résumer, c’est une technique qui apparaît au moyen-âge et qui vise à recycler les vieux vêtements en tapis. Quand on ne pouvait par exemple plus s’approvisionner en laine. Cette technique, on la retrouve ensuite dans plusieurs communautés de tisserands dans le monde, car c’est le moyen de plus simple de ne pas jeter les vieux habits de la famille. C’est un tapis dit du pauvre et que l’on ne montrait pas ni ne vendait. Il restait dans l’intimité du foyer en opposition au tapis précieux de laine qui se vendent à prix d’or. Pour parler plus techniquement, on déchire/ découpe en bandelettes (1 cm environ) les textiles et on les tisse. À plat ou avec des nœuds (par exemple les boucharouites marocains).
E : Pourquoi cette inspiration de la ville de Marseille est-elle si présente dans tes créations ?
D : C’est ma région d’origine. J’ai toujours eu le sud en moi, même pendant mes 10 ans à Bruxelles, mes pièces ont toujours fait écho aux vacances, aux loisirs… Puis revenue à Marseille, j’ai pris dans la gueule une claque visuelle. Du paysage naturel à l’architecture, c’est beau en fait, et puis c’est aussi le mode de vie. C’est le sud et malgré ses grandes disparités qui font aussi son charme. Il y a des symboles très fédérateurs ici, comme L’Om et Jul, c’est impressionnant, ça met tout le monde d’accord. Quand il y a un match, tout le monde le regarde en terrasse avec une part de pizza à la main peu importe la classe sociale. C’est une ville qui me fait du bien et pour la première fois je ressens un sentiment d’appartenance. Surtout c’est instinctif ! Dans l’histoire du tapis, on remarque que les tisserands témoignent de leur quotidien à travers les motifs, en réalité, je m’inscris simplement dans cette tradition-là.
E : As-tu aussi des artistes qui t’inspirent aujourd’hui dans ce domaine ?
D : Je ne sais pas trop, je suis ce qui se fait en matière de tapisserie notamment, mais clairement, il y a aussi une mouvance générale en ce moment, très pop très street avec laquelle mon travail flirte. Je m’intéresse à plein de pratiques artistiques, photo, vidéos, dessin, peinture, architecture… J’aime beaucoup le travail de Kayla Mattes et de Yann Gerstberger.
E : As-tu déjà eu l’opportunité d’exposer tes créations ?
D : Oui, à Bruxelles, à Paris, à Arles, à Marseille, à Turin.
E : Comment peut-on se procurer tes pièces ?
D : Sur Instagram, c’est le plus simple, je discute avec la personne avant.
E : Quels sont tes projets pour le futur ?
D : Une exposition à Arles, dans ce qui n’a pas été annulé à cause du Covid-19. J’aimerais aussi proposer des évènements différents que la simple expo en galerie, je réfléchis beaucoup à ça en ce moment ! J’ai aussi envie de développer des pièces plus grandes, en volume aussi..